Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LEGIS ACTIO

LEGIS ACTIO. L'expression legis actio comporte une double acception. Dans un sens large, lege agere, c'est entreprendre un acte conformément à la loi : tel le licteur qui applique la peine prononcée par le juge' , l'accusateur qui intente une action crimi- V. 138 1 LEG 40911• LEG nette', le plaideur qui agit au civil en une forme quelconque de procédure 2, Celui-là même qui accomplit un acte juridique solennel fait un (ictus legit /mus une cirilis actio 4, aussi bien que celui qui intente un procès. Le plus souvent, on donne à la legis actio une acception plus étroite, celle d'une forme de procédure. La legis actio est la plus ancienne forme de procédure usitée à Rome. Elle a pour but, non pas, comme la procédure moderne, de fournir au juge les moyens de découvrir plus sûrement la vérité, mais de subordonner l'exercice de la justice privée à l'existence d'un droit incontestable et publiquement affirmé La legis actio tire son nom des solennités à accomplir pour affirmer le droit que l'on prétend avoir et pour le rendre incontestable. Ces solennités ne pouvaient être accomplies d'une manière efficace que dans Ies cas prévus par la loi. « Les actions qui étaient autrefois en usage s'appelaient, dit Gaius, legis actiones, soit parce qu'elles avaient été créées par la loi.... soit parce que les formules de ces actions étaient calquées sur les termes de la loi. Elles étaient par suite immuables comme la loi elle-même 6. Les solennités à observer variaient suivant les cas. Gains distingue cinq modes de procéder qui tirent leur nom de l'un des éléments de la solennité : ils ont lieu per sacramentum, per judicis postulationem, per n'anus injectionem, per pignoris cepionein, per condictionem 7. Ces cinq modes de procéder seront étudiés Chacun de ces modes de procéder comprend un nombre plus ou moins grand de formules applicables aux divers cas où la loi permet de les employer. Ces formules, adaptées aux termes de chaque loi créant une action en justice, avaient été composées par les pontifes. Deinde ex Pis legibus (XII Tabularum) eodem tempore fere actiones compositae sont, quibus inter se homines disceptarent; quas actiones ne populos, prout vellet, institueret, certes solemnesque esse voluerunt; et appellatur haec pars juris legis actiones, id est legitianaeactiones... Omnium tamen harem et interpretandi scientia et actiones apud collegium Ponti/iieum erant3. Immuables comme les règlements des pontifes, ces formules devaient être observées à la lettre. On n'y pouvait rien changer à peine de nullités. La legis actio consiste essentiellement dans ces rites minutieusement réglés par les pontifes ; mais par extension on donne le nom d'actions de la loi aux modes de procéder et à. la procédure elle-même. C'est dans ce sens large qu'on va l'étudier. On peut ramener à six les caractères distinctifs de la procédure des actions de la loi. 1° Elle exige la présence du magistrat. Dans le principe, la legis actio fut une procédure extrajudiciaire. Celui qui prétendait avoir un droit pouvait se faire justice à lui-même,.à la seule condition d'accomplir certains rites, de prononcer certaines paroles pour affirmer L'existence de son droit. On trouve encore la trace de cette conception à l'époque historique dans certaines applications de la 'imams injectio et dans la pignoris capio10. Mais de bonne heure l'action de la loi donna lieu à un procès où l'on recherchait qui avait tort et qui avait raison. Pour être autorisé à se faire justice, il ne suffit plus d'affirmer solennellement son droit, il fallut en outre l'avoir fait judiciairement reconnaître. Seule la pignoris f_apio conserva son caractère primitif, ce qui détermina certains auteurs, dit Gaius, à lui refuser le caractère d'une action de la loi". Le premier acte de la procédure consiste donc à amener le défendeur in jure par-devant le magistrat: c'est l'in jus vocatio [Jus, L. V, p. 743]. C'est en sa présence que les solennités prescrites doivent être accomplies, que chacun des plaideurs doit prononcer les paroles consacrées. Le rôle du magistrat consiste à présider à l'action de la loi et à prononcer, le cas échéant, les paroles sacramentelles (carmen) 12. Il ne peut en principe refuser son concours (denegare legis actioneni), à moins que la loi ne l'y autorise. Mais le magistrat n'a pas à décider si le demandeur a tort ou raison : il ne juge pas le procès. C'est un principe fondamental de la procédure des actions de la loi comme de la procédure formulaire, que tout procès doit subir deux phases, l'une in jure, l'autre in judicio; il doit être successivement soumis à deux autorités différentes, le magistrat et le juge. Ces deux phases sont séparées par un entr'acte : la titis contes/Win [LITIS CoNTESTATIO]. On n'a pas à rechercher ici quels étaient les magistrats compétents, ni quels étaient les juges : il suffit de ren voyer aux articles JURISDICTIO et JI:DEx. Mais il est utile de remarquer que l'instruction de l'affaire par le juge est étrangère à la notion de la legis actio : la loi n'a pas posé de règle sur la direction des débats in judicio13. 2° La legis actio exige la présence des parties. 11'emo alieno nomine lege agere potestl0. Cette règle souffre quelques exceptions : a) on peut lege agere pour une personne dont on est chargé de protéger les intérêts (pro tutela agere" ) ; (3) pro libertate, dans les procès relatifs à la liberté [ASSERTOR] 16 ;'y) pro populo, Vraisemblablement en cas d'action populaire i7 [POPULARIS ACTIO] ; I) pour la victime d'un vol lorsqu'elle est absente pour le service de l'État, ou retenue en captivité chez l'ennemi 3° La legis actio ne peut avoir lieu qu'à des jours, heures et lieu déterminés. Pour les jours où l'on peut lege agere, il faut tenir compte de la distinction des jours fastes et néfastes, intercisi, comitiales [DIES, p. 175], fériés ou non fériés [FERIAS, p. 1047], du justitium [JUSTITICM, p. 779]. L'audience du magistrat était ouverte, d'après la loi des Douze Tables, jusqu'au coucher du soleil '$; c'était la suprema tempestas15. La loi Plaetoria de jurisdictione confirma cette règle [LEx PLAETORIA] 20. Le Préteur levait la séance en rendant grâces aux dieux ; il prononçait la formule Di-is honorera dico21. Aussitôt le praeco pro LEC' -1095 LEI noncait les paroles consacrées : Actum est : ilicet 11 Le magistrat doit siéger pro tribunali 2, c'est-à-dire sur l'estrade qui forme le tribunal' [TRIBUNAL]. A Rome, cette estrade était ordinairement ` élevée au comitium 6 [FORUM, p. 1279 et 4283]. Le magistrat est assis sur la 44° La procédure de la legis actio est orale et solennelle. La prononciation de paroles solennelles par le magistrat et par les plaideurs est l'un des éléments essentiels de la legis actio. En cela elle diffère de la procédure formulaire qui est une procédure écrite. 5° On ne peut soumettre au juge dans chaque instance qu'une seule demande. Celui qui a plusieurs prétentions à faire valoir contre un même adversaire doit intenter autant de legis actiones distinctes. 6° Il est défendu d'accomplir deux fois pour une même affaire les solennités d'une action de la loi. Qua de re actum semel erat, de ea postea ipso jure agi non poterat7. Cicéron fait allusion à cette défense lorsqu'il dit: Acta agimus, quod vetamur vetere proverbio '. Cette règle très rigoureuse parait avoir été introduite par la jurisprudence pontificale : elle se rattache très étroitement à une autre règle que Gaius attribue à la trop grande subtilité des veteres qui tune jura condiderunt, c'est-à-dire des pontifes, celle qui entraine la perte du procès pour la plus petite erreur commise dans une action de la loi. dit été trop facile d'éluder cette règle, s'il eût été permis de recommencer la legis actio', L'exercice de la legis actio est en principe réservé aux citoyens romains. La question de savoir si et dans quelle mesure elle a été étendue aux pérégrins est discutée 10 Sur l'emploi de la legis actio en matière gracieuse, voir l'article JURISDICTIO, p. 728. La procédure des actions de la loi présentait de nombreux inconvénients, les uns d'un caractère général, les autres propres à chacun des cinq modes de procéder". Elle fut supprimée, dit Gaius, par la loi Aebutia et par les ET PUBLICORUM(,. Elle fit place à la procédure formulaire. Parmi les causes de défaveur de la procédure antique, Gaius signale l'extrême rigueur avec laquelle on s'attachait à l'emploi des termes consacrés: Istae omnes legis actiones paulatim in odium venerunt : nantque... eo res perducta est ut vel qui minimum errasset litem perderet. La legis actio a continué cependant à être appliquée en matière gracieuse, et même en matière contentieuse dans deux cas signalés par Gains, notamment dans les procès soumis au tribunal des centumvirs. Éli. Oum